Par: Fabrice Laurent Publié le: 14 janvier 2022
La cour d'appel a confirmé la condamnation d'un éleveur, pour avoir tué de nombreux spécimens de cette espèce protégée lors de travaux agricoles à la périphérie d'Ajaccio, à une amende de 35 000 euros et à verser au total 30 000 euros de dommages et intérêts à des associations
La cour d'appel de Bastia a confirmé la condamnation d'un éleveur bovin pour, du fait des travaux de gyrobroyage qu'il a effectués sur les terres qu'il loue sur le site de la Confina à la périphérie d'Ajaccio, avoir tué de nombreux spécimens d'une espèce animale protégée, en l'occurrence des tortues d'Hermann, et pour altération ou dégradation de leur habitat.
L'agriculteur avait fait appel de la condamnation prononcée le 14 décembre 2020 par le tribunal correctionnel d'Ajaccio.
La chambre des appels correctionnels a confirmé en tout point, tant en ce qui concerne l'action publique que les intérêts civils, le jugement prononcé en première instance, à savoir deux mois d'emprisonnement assortis d'un sursis probatoire et ce pour une durée de deux ans ; une amende de 35 000 euros ; le versement de dommages et intérêts, en réparation du préjudice subi, à des associations qui se sont constituées parties civiles : U Levante (15 000 euros), l'Association pour la protection des animaux sauvages (10 000 euros) et la Station d'observation et de protection des tortues et de leurs milieux (5 000 euros). Cette procédure a été suivie de près par l'Agence française pour la biodiversité et la Dreal (direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement) de Corse-du-Sud.
Un pourvoi en Cassation de la défense n'est pas exclu
"Nous prenons acte de cette décision de la cour d'appel. Mais il y a toujours un débat juridique qui n'a pas été tranché, c'est celui concernant les conditions dans lesquelles les services qui ont effectué les constatations ont accédé au terrain de mon client. Nous nous réservons donc le droit de nous pourvoir en Cassation, indique Me Dominique Paolini, avocat de l'éleveur. Sur le fond, cet arrêt corrobore le fait que mon client va devoir quitter le site de la Confina en raison de cette décision judiciaire et d'un projet de réalisation d'une pénétrante pour desservir Ajaccio. Il est le dernier agriculteur en périphérie d'Ajaccio et bientôt, entre les décisions de justice et les projets d'envergure, il n'y en aura donc plus."
Le conseil de ce jeune agriculteur de 25 ans qualifie ce dossier de "kafkaïen !". "Mon client avait, à la demande de l'Odarc (Office du développement agricole et rural de la Corse) et avec l'accord de la DDTM (direction départementale des territoires et de la mer), réalisé les travaux nécessaires pour installer une clôture et se mettre ainsi aux normes, signale Me Paolini. Il a reconnu que ces travaux ont tué des tortues et il le regrette. Mais il a fait réaliser, par une société spécialisée, ce qui a représenté une dépense importante, une expertise qui démontre que l'espèce n'a pas été éradiquée. Cela n'a pas été pris en compte."
"Des faits exceptionnellement graves et sans précédent"
De son côté, Me Martin Tomasi, avocat de l'Association U Levante pour la protection des animaux sauvages, considère qu'il s'agit d'une "décision importante car elle sanctionne des faits exceptionnellement graves d'atteinte à une espèce protégée. Le prévenu a été reconnu coupable d'avoir détruit près de trente hectares d'habitat naturel de la tortue d'Hermann et d'avoir littéralement massacré, par ces travaux de gyrobroyage, plusieurs centaines de spécimens, ce qui est sans précédent : une soixantaine de tortues mortes ont été retrouvées mais une étude scientifique estime qu'il y en a plus de 350. C'est la première fois qu'une atteinte d'une telle ampleur est sanctionnée par la justice." "Ce qui a sans doute également pesé, c'est que cet agriculteur avait été informé très vite par les enquêteurs environnementaux qu'il faisait des travaux sur un secteur où il y a des tortues d'Hermann, qu'ils sont soumis à une autorisation et qu'il y a des précautions à prendre. Il lui a été demandé d'arrêter ces travaux, or il les a continués pendant plusieurs mois."
"Le préjudice environnemental est majeur et très largement irréversible car ce terrain se trouve au Mont Sant'Angelo, qui est considéré comme un haut lieu en Corse de cette espèce en voie d'extinction, poursuit Me Tomasi. Des éléments scientifiques produits en appel par la Dreal tendent à démontrer que la population présente sur ce site a subi un tel traumatisme qu'elle n'est plus en capacité de se reproduire car trop de tortues adultes ont été tuées."
"La cour d'appel de Bastia a rappelé, à travers cette décision, qu'en aucun cas, on ne doit toucher à l'habitat de ces tortues et, a fortiori, porter atteinte à cette espèce que l'on a de la chance d'avoir et qui est en train de disparaître. La Corse constitue, en France, le foyer principal de cette espèce que l'on trouve également dans le Massif des Maures. À Ajaccio, c'est l'un des foyers les plus dynamiques qui a été durablement détruit. Il faudra des décennies pour compenser ce dommage."
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